Regards d'enfants, globe-trotteurs malgré eux

Le metteur en scène suisse Stefan Kaegi au Festival d'Avignon, le 19 juillet 2006.

Von Fabienne Darge

07.07.2008 / LE MONDE

Revoilà à Avignon Stefan Kaegi, qui avait enthousiasmé le Festival, en 2006, avec deux "spectacles" (le mot convient-il encore, dans son cas ?) mémorables, Mnemopark et Cargo Sofia.
Le jeune metteur en scène suisse présente jusqu'au 12 juillet, en compagnie de l'écrivaine argentine Lola Arias, Airport Kids, projet tout aussi atypique et percutant que les précédents. Et comme en 2006, les places s'arrachent. "Etre politique aujourd'hui c'est être documentaire", a coutume de dire Kaegi, qui travaille la pâte de notre réalité mondialisée de manière inédite au théâtre.

Les "airport kids", ce sont ces enfants qui vivent dans le milieu international des grandes capitales, suivant leurs parents d'un pays à l'autre. Ceux que l'on découvre sur la scène du gymnase du lycée Mistral d'Avignon vivent aujourd'hui à Lausanne. Ils ont entre 6 ans et 14 ans, viennent de Russie, d'Italie, d'Inde, du Maroc, d'Angola, du Brésil ou de Chine.
L'un après l'autre, ils sortent de leurs petites boîtes-containers en métal, posées sur la scène comme sur le tarmac d'un aéroport. Ils viennent se présenter, raconter leur vie, leurs espoirs et leurs rêves. Evidemment - c'est la "patte" Kaegi - leur réalité n'est pas balancée brute de décoffrage sur scène. Elle a été travaillée au fil des mois, lors d'ateliers, avec les deux artistes qui ont tissé à partir d'elle de petites histoires, des bouts de fiction gorgés de vie.
Ils ont ainsi brouillé la frontière du réel et de la fiction, pour mieux raconter un monde où les frontières semblent avoir disparu pour toute une catégorie de gens, qui travaillent pour des entreprises ou des organismes internationaux. Mais où elles semblent au contraire s'être considérablement renforcées pour d'autres. Un monde où la notion de "chez soi" est devenue problématique, comme la question de l'identité.
Oussama, Patrick, Julien, Kristina, Garima, Aline, Clyde, Juliette, Sarah, habillés comme tous les enfants du monde d'aujourd'hui, d'où qu'ils viennent - jean, tee-shirt, rose obligatoire pour les filles - semblent se mouvoir avec aisance dans cet univers. Comme la mise en scène de Stefan Kaegi, qui, à l'aide des caméras filmant en direct chacun dans sa petite niche personnalisée, circule avec fluidité d'une histoire à l'autre.

UNE IRONIE TRANQUILLE

L'alliage entre le regard extrêmement précis porté par les deux artistes sur le réel et leur capacité à le traduire avec poésie et humour, et même un certain sens du merveilleux, fait tout le prix de cet Airport Kids. Ainsi de la guerre en Angola, conflit oublié, emblématique de la guerre froide, raconté avec trois escargots sur une mappemonde.
Mais c'est évidemment la présence réelle des enfants qui rend le spectacle si émouvant. Loin de la "Star ac'" et de toute mièvrerie, Lola Arias et Stefan Kaegi ont su canaliser subtilement le côté "histrion" qu'a tout enfant normalement constitué. Ce qui est encore une autre manière d'explorer leur imaginaire, dans notre monde spectaculaire.
On a rarement vu dire autant de manière aussi ludique, avec cette ironie tranquille et cet art du détail qui fait mouche. Evidemment, sur un tel projet, les frontières du théâtre explosent. Airport Kids se rapproche des recherches de certains plasticiens contemporains, qui manient de plus en plus de textes. Pourquoi serait-ce un problème, quand le travail est porté par une telle qualité de regard ?

Airport Kids, de et par Lola Arias et Stefan Kaegi. Avec Oussama Braun, Patrick Bruttin, Julien Ho, Kristina Kovalevskaya, Garima Manek, Aline de Mello Morais, Clyde Philippoz, Juliette Scialpi et Sarah Serafim. Gymnase du lycée Mistral, Avignon, à 15 heures jusqu'au 12 juillet. Durée : 1 h 15. 20 € et 25 €.


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Airport Kids