FTA – Montréal, ville ouverte

Von Marie Labrecque

20.05.2017 / Le Devoir

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La scène montréalaise, dont on dénonce souvent l’homogénéité, n’aura peut-être jamais accueilli une distribution aussi éclectique. La réunion de certains des participants de 100 % Montréal, le spectacle berlinois qui ouvrira le Festival TransAmériques jeudi, pour une séance croquée sur une terrasse typique de la métropole, le jour même où elle se fêtait, en faisait foi.

Depuis 2008, le collectif de théâtre documentaire Rimini Protokoll a tracé ainsi le portrait de près de 30 villes, dont Vancouver, en mettant sur scène 100 citoyens représentatifs de leur profil démographique. « Le spectacle capture le visage, la personnalité de la cité, son atmosphère actuelle, explique la metteure en scène Helgard Kim Haug. C’est intéressant d’observer les particularités, les tabous, la situation politique de chaque ville. » À travers cette échelle où une personne représente 19 000 citoyens, la pièce permet au spectateur de voir où il se positionne, « et de nouer ainsi un dialogue très émotionnel avec sa ville », croit la metteure en scène allemande.

Comme tous les spectacles de la série 100 % Stadt, la création est basée sur les statistiques locales. La gestion du recrutement a été confiée à la Montréalaise Florence Béland. Formée en anthropologie, parlant arabe, sociable, la jeune consultante en immigration était bien placée pour composer un échantillon fidèle des Montréalais, à partir du census de 2011. Les sans-abri, frange importante de Montréal, ne sont pas représentés, car ils ne sont pas recensés dans les statistiques.

La sélection de la distribution reposait sur cinq critères : le sexe (la métropole est féminine à 52 %), les tranches d’âge, le quartier (le spectacle affiche une sous-représentation des extrémités est et ouest de l’île), la structure familiale et le lieu de naissance. Plus du tiers des résidants de Montréal ont vu le jour ailleurs qu’au Canada. « Ce qui est particulier à Montréal, c’est que l’origine des personnes nées à l’étranger est extrêmement diversifiée. Les immigrants y viennent de tous les pays du monde. » La « recruteuse » et son assistant, Pascal Motard, ont aussi fait attention à certains critères secondaires, comme la religion, l’orientation sexuelle. Et la langue, respectant les 36 % de Montréalais parlant anglais.

La pièce repose sur le principe de la chaîne : le premier participant, toujours un employé du Bureau des statistiques de la Ville, choisit le suivant, et ainsi de suite. Cette méthode expose l’étendue du réseau social des gens, mais aussi ses limites. Sont-ils connectés à des personnes à l’extérieur de leur bulle ?

« Techniquement, tout le monde sur scène est censé être lié, note Florence Béland. La plupart le sont. » Elle aidait les candidats « à sortir de leur cercle social quotidien et à trouver une plus grande diversité », dans leurs loisirs, par exemple. Mais, à partir du 65e participant, sa tâche a commencé à se corser, alors qu’elle devait remplir certains critères sous-représentés (comme les hommes). Pour ces derniers, la recruteuse a dû être proactive dans ses recherches. La ligne directe s’est plutôt transformée en arbre généalogique, se ramifiant en branches.

 

Mouvements d’opinion

Miroir démographique d’une ville, l’exercice sociologique du trio berlinois tente aussi d’en exposer les états d’âme. Les créateurs sondent leur échantillon à travers différentes questions, certaines universelles, d’autres adaptées aux réalités locales. « En Allemagne, par exemple, on aimait demander qui était pour l’interdiction du port du voile [islamique], mais évidemment, personne en Indonésie n’accepterait cette question », raconte Stefan Kaegi — déjà venu au FTA en 2007 avec Mnemopark.

En répétitions, jaillissent parfois, sous l’impulsion des participants, des sujets imprévus qui révèlent les particularités des sociétés. Comme le grand nombre de Coréens du Sud, « où le divorce est un tabou, qui aimeraient un conjoint différent dans une autre vie »…

Et à Montréal ? Les concepteurs vont tâter le pouls de leur distribution afin de déterminer les questions pertinentes. Mais ils ont déjà compris, lors d’une première réunion ce matin-là avec les dramaturges, qu’il fallait aborder la loi 101. « Et je pense qu’on devrait demander : qui croit qu’il y a trop de construction dans la ville ? » ironise Kaegi.

Ils aiment explorer des enjeux délicats. Et leur statut d’étrangers est un atout, pense Helgard Kim Haug. « On peut poser des questions naïves. Personne ne va le prendre mal. Si on vivait ici, on saurait qu’il vaut mieux ne pas demander telle chose, ou reformuler une question d’une manière qui amenuise les tensions. On ne veut vexer personne, mais on veut frapper ces régions plus dérangeantes. »

Le spectacle comprend une période de micro ouvert pour la distribution ainsi qu’une possibilité pour les spectateurs d’interroger celle-ci. Sinon, le spectacle illustre les opinions de son échantillon à travers diverses méthodes ludiques, très visuelles. Une incarnation mouvante des statistiques. Avec « la possibilité de réagir différemment tous les soirs, car un participant peut changer d’opinion après avoir discuté avec les autres ». Ou alors, la réponse à certaines questions personnelles peut varier avec la présence d’un conjoint dans la salle…

Rimini Protokoll tient à aller au-delà des bulles et à refléter un éventail diversifié de points de vue. « On va ensuite créer le spectacle à Marseille, alors que la Provence vient de voter majoritairement pour [Marine] Le Pen, raconte Stefan Kaegi. C’était très important pour nous de représenter ces gens, mais c’était difficile. Certains d’entre eux ne désiraient pas participer à un projet qui expose une diversité dont ils ne veulent pas. Mais nous avons insisté. »

C’est là que 100 % Montréal se montre moins pluriel, selon Florence Béland. « J’ai trouvé difficile de trouver des gens aux opinions politiques différentes. Ce sont surtout des gens soutenant l’immigration qui participent. Montréal est une ville assez ouverte d’esprit. »

Après avoir passé des heures à en sillonner tous les recoins, elle est fascinée par les différents mondes qui y coexistent. Et par la richesse des histoires de vie des Montréalais. La radiographie humaine de la métropole est un peu déformée par le profil de la personne « qui accepte de donner son temps pour le spectacle, admet-elle. Au départ, ce sont des gens qui aiment Montréal ». Pour plusieurs, la participation à la pièce exprimait leur attachement à la ville, et pour « beaucoup d’immigrants, tellement bien accueillis », un acte de gratitude. « Il y a une fierté montréalaise dans ce projet. »


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