Le beau train de vie d'Avignon

Von GUY DUPLAT

17.07.2006 / La Libre Belgique


«Mnemopark» et ses fous de trains miniatures sont l'heureuse surprise du festival. A l'autre extrême, Peter Brook prêche le retour à l'essence du conte.
Pas de festival réussi sans polémique ou découverte artistique. Côté débats, ce cru 2006 reste un peu plat, d'un bon ton certes, mais sans aspérités. Côté découvertes, les festivaliers se sont jetés avec délices sur «Mnemopark», savoureux spectacle du Suisse Stefan Kaegi et sa compagnie Rimini Protokol, qui pratique ce qu'on pourrait appeler le documentaire théâtral, une sorte de «Strip-tease» sur scène, à l'instar de la célèbre émission de la RTBF.
Ce jeune metteur en scène de 33 ans était déjà connu des initiés en Belgique pour y avoir monté, dans le cadre du KunstenFESTIVALdesArts, un spectacle autour des ex-Sabeniens. À ses débuts en 2000, Kaegi crée un spectacle avec des vieilles de 80 ans, choisies dans un home de Zurich. Le metteur en scène avait remarqué que conduire les chaises roulantes actuelles demandait une technologie digne de la Formule1. Et avait alors imaginé un spectacle où ces vieilles racontaient leurs souvenirs de pilotes de course. Mais comme à cet âge on a du mal à connaître son texte, il y avait des souffleurs dans les coulisses qui agitaient le drapeau rouge pour leur dire «attention au texte», ou le drapeau jaune pour «attention au dépassement».
Le secret de Rimini Protokol est d'agir d'abord en journalistes, découvrant des «vraies» situations de vie avec de «vrais» gens. Avec ces «non-acteurs», Stefan Kaegi parvient alors à monter des spectacles très originaux avec une extraordinaire force de vie.
Pour Avignon (et on aimerait le voir ensuite à Bruxelles), il a choisi l'univers des modélistes, ces fous du rail, souvent ex-cheminots, qui collectionnent les locos et wagons miniatures (parfois par centaines) et imaginent des mondes réduits au 1/87, avec leurs paysages de montagnes, d'églises et de vaches en carton pâte. Stefan Kaegi a choisi Max, Hermann, Heidy, René et Niki, qui jouent leur propre rôle, avec leurs rides et leurs petits trains électriques qui envahissent toute la scène. Le maître de cérémonie est Rahel Hubacher, seule actrice professionnelle. Une petite caméra fixée sur les locos filme l'avancée du train et projette les images sur un écran: images d'une étrange poésie, d'une Suisse imaginaire, avec les grosses têtes des modélistes qui apparaissent de temps en temps dans le paysage. Stefan Kaegi ne juge rien, mais il parle de l'avenir de la Suisse, des menaces sur l'environnement, des montagnes de viande. C'est formidable d'inventivité et infiniment théâtral.
La colle à bois
Christophe Huysman innove aussi avec «Human (articulations)» qui viendra le printemps prochain aux Halles de Schaerbeek. Un court spectacle où il mêle ses textes et le cirque, où il désarticule autant le langage que les corps. «Human» commence mal, dans un verbiage bien français, mais bientôt la magie opère quand l'excellente Colline Caen virevolte lentement dans les airs, aux bras de ses collègues circassiens, tout en disant un texte drôle, plein de jeux de mots et de fantaisie. On rit quand on entend dire «la colle à bois, le menuisier passe». Mais on est surtout pris doucement dans l'émotion. L'équilibre précaire des acteurs sur les hauteurs, accrochés aux mâts chinois, répond au déséquilibre des mots et à l'instabilité de la vie. L'humour comme réponse aux désarrois.
Le sourire de Brook
En dehors d'Avignon, dans la cour de l'école de la Trillade, nouveau lieu découvert par Peter Brook, revient celui qui a fait les plus beaux jours du festival avec son «Mahabarata» dans la carrière de Boulbon.
Aujourd'hui, à 81 ans, Peter Brook garde une incroyable douceur dans ses yeux bleus pétillants de l'intelligence du théâtre. Il choisit dorénavant le minimalisme et l'Afrique, terre des conteurs et de l'oralité. «Siwe Banzi est mort» est un texte créé dans les townships sud-africains durant l'apartheid. L'histoire de deux hommes, où l'on parle de la nécessité de changer d'identité pour survivre et de prendre les papiers d'un autre. Un texte plein d'humour, comme on les imagine le soir sur la place d'un village africain. Trois fois rien, des vieilles caisses de carton plié comme décor, et, le soir où nous y étions, une fine pluie qui ne refroidissait ni les acteurs ni les spectateurs. Cela pourrait être du théatre amateur, mais en réalité Peter Brook renoue avec l'essence du théâtre: une boîte de carton, des voix d'acteurs, une histoire de vie et tout un monde surgit.
Pour porter ce texte, il peut compter sur Habib Dembélé, acteur malien plein de gouaille, et sur Pitcho Womba Konga, né au Congo, réfugié en Belgique, devenu Belge et chanteur de rap. C'est lui le grand balourd du spectacle, qui rejoue l'histoire des sans-papiers, celle qu'il a connue comme réfugié congolais en Belgique. Une histoire - hélas - bien d'actualité.
Festival d'Avignon, jusqu'au 27 juillet. Web www.festival-avignon.com

Cet article provient de http://www.lalibre.be


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