Gare à la Suisse

Dans Mnemopark, le metteur en scène Stefan Kaegi met gentiment en boîte son pays natal.

Von Marie-José Sirach

15.07.2006 / L'Humnité

Sur le plateau, quelques kilomètres de voies ferrées en modèle réduit posées sur des tables, reconstitution à une échelle extrêmement précise de maisons, pâturages, gares et autres panoramas helvètes. À cour, on a même peint un paysage alpin de carte postale. Par un astucieux dispositif vidéo, le spectateur découvre sur un écran le décor traversé par le train en temps réel avec franchissements de tunnels, arrêts en gare, etc. Dans Mnemopark (un monde de train en miniature), des hommes et des femmes, retraités de leur état, disent leur passion pour le modélisme avec moult détails. Auparavant, ils se sont présentés, ont décliné leur identité.

Le Suisse étant pointilleux, on apprend donc plein de choses : nombre de kilomètres carrés de voies ferrées, de parkings, de déchetteries, de centres culturels ; surfaces de terres consacrées à l’élevage ou à l’agriculture ; où se procurer le matériel pour s’adonner au modélisme, quel matériel choisir (made in China ou in Germany). On nous révèle les astuces pour construire un chalet, peindre les personnages et même créer des bouses de vaches, en miniature bien sûr. C’est un dispositif extrêmement sophistiqué où rien - vidéo, circulation du train, disposition des acteurs, musique et récit - n’est laissé au hasard. Même les cafouillages des acteurs sont under contrôle. C’est dire combien Stefan Kaegi, le metteur en scène, a le goût pour la précision précise et la rigueur rigoureuse.

théâtre documentaire

C’est du théâtre documentaire, documenté, vraiment très documenté. Au début, on rit devant l’avalanche de chiffres et de statistiques énumérés sur un ton badin. Puis très vite, on se met à penser à autre chose. Ne pas oublier d’acheter de l’huile d’olive au supermarché. Prendre rendez-vous avec le pédiatre pour le petit dernier. Penser à modifier son billet de train. Parce qu’il est question de train, de train-train suisse, avec des flash-back genre Retour vers le futur où les acteurs sont soudain renvoyés dans leur passé et, s’ils n’y prennent garde, risquent de disparaître à jamais dans une autre dimension.

Ce peut être aussi une forme de théâtre politique. On y cause politique agricole commune, de l’agriculture suisse sous perfusion, hyper-subventionnée, histoire d’assurer l’auto-alimentation du pays et la conservation des paysages. On en apprend beaucoup sur l’insémination artificielle des bovins, la qualité de leur sperme. On y parle mondialisation aussi. On a même droit à des incrustations sur écran vidéo de séquences de cinéma indien tournées en décors naturels helvètes, le cinéma bollywoodien étant obligé de se délocaliser pour cause de conflit permanent avec le Cachemire...

propos convenus sur le fond

On ne sait trop à la fin où veut nous emmener Stefan Kaegi. À la découverte d’une autre Suisse, l’envers du décor sûrement. On regrette qu’il s’en tienne à la surface des choses et ne se contente, finalement, que de propos convenus sur le fond et dans la forme, laquelle, très tendance, consiste à utiliser des non-professionnels, ce qui est semble-t-il de la dernière audace. Du coup, on se rappelle la pièce autrement incendiaire d’un autre jeune auteur suisse, Lukas Bärfuss, les Névroses sexuelles de nos parents, mise en scène par Bruno Bayen ce printemps au Théâtre de Gennevilliers. Il y avait là une causticité - dans l’analyse spectrale de la névrose helvète - autrement plus musclée et irrévérencieuse.

Mnemopark sera repris du 11 au 13 août au Tampere Festival, en Finlande. Stefan Kaegi présente du 20 au 25 juillet, toujours en Avignon, Cargo Sofia-Avignon


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