Embarquement immédiat dans le camion de Stefan Kaegi

Avignon envoyée spéciale

Von Fabienne Darge

25.07.2006 / Le Monde

Depuis le 20 juillet, un camion blanc rempli d'une étrange marchandise taille la route autour de la Cité des papes : c'est Cargo Sofia-Avignon, le "spectacle", si on peut l'appeler ainsi, dont tout le Festival parle. Il est signé du metteur en scène suisse Stefan Kaegi, 33 ans, qui est d'ores et déjà, avec son mémorable Mnemopark (Le Monde du 14 juillet), la découverte enthousiasmante de cette édition 2006.

Rendez-vous, donc, à 11 heures ou à 15 heures devant la grande poste d'Avignon. Là vous attendent le fameux camion, qui auparavant servait au transport de viandes, Stefan Kaegi lui-même, avec son incroyable dégaine dégingandée, deux chauffeurs routiers bulgares et Eva, une de leurs jeunes compatriotes qui vit à Avignon depuis deux ans, pour étudier la viticulture.

Avec une petite cinquantaine d'autres spectateurs-passagers, vous allez monter dans le camion et vous installer sur les banquettes de skaï bleu aménagées pour l'occasion. Attachez vos ceintures, c'est parti pour deux heures de balade autour de la Cité des papes, loin, très loin des remparts et des vieilles pierres, dans un autre monde, celui dans lequel vivent les camionneurs européens. Un monde de rocades, d'autoroutes, de parkings et d'entrepôts, qui en dit beaucoup sur notre vieille Europe.

Plusieurs histoires vont s'entrecroiser au cours de ces deux heures extrêmement riches. A commencer par celle des deux camionneurs eux-mêmes, qui sert de fil conducteur à la balade : les deux heures seront comme un concentré des vingt jours qu'auraient mis Ventzislav et Svetoslav pour accomplir un de leurs trajets habituels, entre Sofia et le sud de la France, en passant par la Serbie, la Croatie, la Slovénie, l'Italie et la Suisse.

ZONES, ZONES, ZONES

Et ce qui rend ce Cargo-Sofia-Avignon absolument génial, c'est le choc entre ces histoires humaines, doublées de tout un travail documentaire et précis sur la situation du transport routier en Europe - laquelle est, bien entendu, plus largement révélatrice d'un certain état de l'Europe libérale -, et ce que l'on va voir au fil du périple, à travers la baie vitrée aménagée sur l'un des côtés du camion.

Ce que l'on voit, à peine quitté le centre d'Avignon, ce sont ces zones de transit et de stockage et ces zones commerciales qui semblent être devenues rigoureusement les mêmes dans le pourtour de toutes les villes d'Europe, d'Avignon à Sofia. Un paysage composé de vastes hangars-magasins d'usine de marques internationales, de concessionnaires de voitures et d'hôtels standardisés, de grandes surfaces et de fast-foods.

On voit tout cela, au fil d'étapes où plusieurs personnes, toutes liées à la distribution alimentaire, viennent très concrètement parler de leur travail. Et c'est fou l'intérêt et le poids du réel, quand on sait le regarder avec autant d'attention et de curiosité que Stefan Kaegi. Ce sont ces effets de zooms et de plans larges, la précision du détail révélateur d'une situation globale, qui décidément impressionnent chez le jeune metteur en scène suisse.

Et puis il y a tous ces petits détails drôles et réjouissants, cette voiture décapotable rouge qui double le camion à toute vitesse, ou cette jeune femme qui pousse sa chansonnette à tous les ronds-points : clins d'oeil du hasard adressés par le metteur en scène, re-créateur de réalité. Arriver à lier avec autant de simplicité percutante l'économie, le paysage et la vie des gens, il fallait le faire. Quel coup d'air frais, ce Stefan Kaegi ! Quelle intelligence tranquille, surtout.

"Cargo Sofia-Avignon", par Stefan Kaegi. Départ à 11 heures et 15 heures devant la grande poste d'Avignon, jusqu'au 25 juillet. Tél. : 04-90-14-14-14. Puis à Ljubljana, Varsovie, Zagreb, etc., et à Strasbourg du 4 au 15 février 2007.



 

 


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Cargo Sofia-X